Les boutiques hors taxes continuent de souffrir depuis que les Canadiens évitent les voyages aux États-Unis, ce qui a entraîné la fermeture d'au moins une boutique jusqu'à présent au Nouveau-Brunswick.
John Slipp a fermé sa boutique hors taxes de Woodstock ce mois-ci. La diminution de l'achalandage à la frontière canado-américaine a porté un coup fatal à sa boutique, déjà affaiblie par la pandémie de COVID-19.
M. Slipp avait repris la boutique hors taxes de son père en 1994, qui avait été ouverte plus de dix ans plus tôt.
Aujourd'hui âgé de 59 ans, il a indiqué qu'il devra trouver une autre source de revenus et plaide pour un soutien gouvernemental accru pour les boutiques comme la sienne.
De moins en moins de Canadiens se sont rendus aux États-Unis ces derniers mois en raison de la guerre commerciale du président américain Donald Trump avec le Canada, de ses déclarations sur l'annexion du pays et des craintes des voyageurs quant au traitement à la frontière.Â
Dans le secteur des boutiques hors taxes, une baisse de fréquentation à la frontière est directement liée à une diminution des ventes, a expliqué M. Slipp.
«C'était très difficile. L'entreprise a connu de nombreuses bonnes années. Je ne voulais certainement pas mettre un terme à ma carrière, abandonner, tout laisser tomber, tant personnellement que par rapport à mon défunt père», a raconté M. Slipp.
Au début des années 2000, à l'apogée de son activité, le magasin comptait une quinzaine de personnes. En mars 2020, le propriétaire a licencié quatre personnes et a rouvert après la pandémie avec deux employés.
À la fin de l'été 2021, les boutiques hors taxes «partaient toutes de zéro pour reconstruire», selon M. Slipp. Fin 2024, son activité était encore en baisse d'environ un cinquième par rapport à 2019.
Puis Donald Trump est revenu à la Maison-Blanche. De janvier à avril, la situation s'est dégradée pour le magasin de M. Slipp, qui a finalement décidé de mettre la clé sous la porte face à la baisse des ventes et de la fréquentation.
«Je réalise que, même après les changements d'administration américaine, dans notre secteur, nous ne nous attendons pas à ce que le trafic frontalier change du jour au lendemain. Nous pensons que cela prendra des années», a-t-il mentionné.
Une baisse depuis des mois
Selon Statistique Canada, les voyages de retour en provenance des États-Unis ont encore diminué en juillet, les Canadiens continuant de renoncer aux voyages aux États-Unis.
Le nombre de résidents canadiens revenant des États-Unis en voiture a diminué de 36,9 % sur une base annuelle en juillet, marquant le septième mois consécutif de baisse sur un an.
Barbara Barrett, directrice générale de l'Association Frontière Hors Taxes, a souligné que les magasins que son association représente ressentent la baisse d'achalandage depuis des mois.
«Je décrirais notre secteur comme étant en pleine crise, et nous le disons depuis plusieurs mois maintenant», a-t-elle soutenu.
L'association a indiqué que les ventes des boutiques hors taxes ont chuté de 40 à 50 % par rapport à l'année précédente dans tout le pays depuis fin janvier, et jusqu'à 80 % aux postes frontaliers éloignés.
Mme Barrett a ajouté que les boutiques hors taxes sont souvent un microcosme de la situation à la frontière.
«Cela devrait être notre période estivale la plus chargée, mais ce n'est pas le cas ; l'achalandage dans les stationnements est à la hauteur de celui lors de la pandémie, ce qui a entraîné la fermeture d'un magasin dans l'est. Nous craignons malheureusement d'autres fermetures à l'approche de la fin de l'été», a-t-elle indiqué.
Contrairement aux magasins d'aéroport, qui appartiennent souvent à des entreprises internationales, tous les magasins situés aux frontières terrestres sont des entreprises indépendantes et souvent familiales, a précisé Mme Barrett.
Alors que les Canadiens évitent les voyages aux États-Unis, l'experte en voyages Claire Newell a avancé que beaucoup optent pour des destinations nationales et internationales.
«Nous vivons dans un pays où les voyages intérieurs sont encore très coûteux. Et même si de nombreuses personnes choisissent de voyager au Canada, nous voyons également de plus en plus de personnes se diriger vers des destinations populaires», a-t-elle expliqué.
Elle a ajouté qu'elle ne voit pas les Canadiens revenir à la normale avant la conclusion d'un accord commercial «qui semble équitable».
Plaidoyer pour changer les règles
Alors que la baisse du trafic frontalier pèse sur l'industrie, Mme Barrett plaide en faveur de «légères modifications réglementaires».
«Croyez-le ou non, nos produits sont soumis à des taxes qui, dans un secteur hors taxes et hors droits de douane, sont inexistantes chez nos concurrents américains. Nous demandons donc que ces taxes soient modifiées afin d'accroître notre compétitivité», a-t-elle déclaré.
«Nous demandons également à être admissibles à certains de ces programmes d'allègement tarifaire ou à des mesures de soutien en cas de pandémie, à l'instar de ce qui a été fait pendant la pandémie avec les subventions salariales ou les subventions au loyer», a-t-elle fait savoir.
Mme Barrett a indiqué que le gouvernement est propriétaire de nombreuses boutiques hors taxes et qu'un report ou une subvention au loyer aiderait le secteur jusqu'à ce que les déplacements se normalisent. Elle a ajouté que des discussions avaient eu lieu entre son organisation et de hauts fonctionnaires.
Selon Mme Barrett, ces derniers étaient d'accord sur le fait que l'association formulait de «petites demandes» pour soutenir le secteur.
Un communiqué du 2 août annonçant la fermeture de la boutique hors taxes de Woodstock mentionnait que les gouvernements fédéral et provincial avaient promis des programmes d'allègement tarifaire pour aider les entreprises touchées par les tensions commerciales.
«J'avais placé beaucoup d'espoir dans ces initiatives lorsque les deux paliers de gouvernement ont fait ces annonces. Cela m'a rappelé les programmes de soutien liés à la pandémie», a témoigné M. Slipp, ajoutant que son entreprise en avait bénéficié.
Il se concentre désormais sur la promotion de programmes de report de loyer pour les boutiques hors taxes qui louent des terrains au gouvernement fédéral ou à une autorité de transition, ainsi que sur des programmes de prêts pour les boutiques hors taxes.
En ce qui concerne l'avenir du secteur, il juge que les perspectives «ne sont pas réjouissantes».
«Je pleure la perte de mon entreprise, mais j'accepte aussi la réalité : le contexte commercial a changé et rien ne laisse présager d'une évolution positive dans ce secteur à court et moyen terme», a affirmé M. Slipp.
«Je regrette de ne pas avoir réussi et de devoir mettre un terme à cette entreprise que mon père et moi avons bâtie et pour laquelle nous avons travaillé si dur pendant tant d'années», a-t-il souligné.